Ce mercredi 16 décembre 2020, la Concertation des associations actives en prison (CAAP) dont est membre le CAL/Luxembourg ASBL a envoyé un courrier au Ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne. Dans ce courrier, la CAAP lui fait part du sentiment de désespoir voire de consternation des associations actives en prison à l’annonce des mesures de la Loi portant sur les dispositions diverses, temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19, loi dite Corona, et plus particulièrement son chapitre “Prison”. Ce courrier, envoyé la veille du vote en plénière au Parlement, déplore aussi l’absence de concertation dans l’élaboration de ce texte.
Lettre ouverte envoyée au Ministre de la Justice
Monsieur le Ministre,
La période de crise sanitaire que nous traversons depuis presqu’un an fragilise un système pénitentiaire déjà sous tension. Les droits élémentaires des personnes détenues très précaires en temps normal ont été largement ignorés ces derniers mois.
Depuis le mois de mars 2020, aucun de nos responsables politiques ne s’est adressé aux personnes détenues et à leurs proches, aucun Conseil national de sécurité ou Comité de concertation n’a abordé la question de la crise sanitaire sous l’angle carcéral. Et pourtant un peu plus de 10 000 personnes sont incarcérées en Belgique. Plus encore, il y aurait environ 76 000 personnes touchées par l’incarcération d’un proche en Belgique dont au moins 12 000 enfants mineurs[1].
Les personnes détenues ont fait preuve de résilience face aux conditions de détention extrêmement rudes. Elles ont dû supporter un manque parfois criant d’information, une diminution de leurs maigres droits et la rupture brutale de tous leurs contacts familiaux et sociaux. Les services actifs en prison[2], quant à eux, ont vu leurs actions tournées vers la réinsertion des personnes détenues radicalement modifiées. Toutes les activités collectives, telles les cours et formations professionnelles, les activités artistiques et socioculturelles, les groupes de paroles, les rencontres parents-enfants, les activités de promotion de la santé, les plateformes de préparation à la sortie de prison… sont ainsi supprimées depuis de nombreux mois (certaines ont à peine repris quelques semaines durant l’été). Conscients des sacrifices qu’impose la situation sanitaire, tous les acteurs précités ont fait preuve d’une grande patience, d’une capacité de compréhension et d’adaptation, de coopération (voire de soutien) avec l’institution pénitentiaire quitte à mettre leurs prérogatives en suspens avec l’espoir que leurs missions reprennent progressivement leur place et leurs droits.
Outre ces inquiétudes de fond sur les dispositions de ce projet de loi, le processus d’élaboration de ce texte éveille de nombreuses critiques au sein du secteur associatif œuvrant en prison[5]. Une nouvelle fois, l’absence de concertation[6] est à déplorer, le Conseil Central Surveillance Pénitentiaire (CCSP), organe de contrôle indépendant bénéficiant d’une dotation de la Chambre[7], n’a nullement été consulté. Nouvelle preuve qu’en matière de politique carcérale on fait trop souvent fi des acteurs et institutions qui sont pourtant légitimes de par leur statut, leur professionnalisme, leur expérience, leur connaissance des enjeux et des réalités. L’urgence sanitaire ne peut servir de prétexte à une absence de transparence et de concertation. En outre, l’absence de communication des autorités dont les services extérieurs relèvent (ministres des entités fédérées en charge des politiques de réinsertion) nous fait penser qu’elles-mêmes n’ont pas été consultées dans l’élaboration de cette loi.
Comme vous l’aurez compris, les services actifs en prison sont au cœur d’une éthique de la concertation et en ce sens, nous insistons sur notre volonté d’être associés à toute réflexion ayant trait aux politiques pénitentiaires.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de notre meilleure considération.
La Concertation des Associations Actives en Prison
Les associations membres de la CAAP sont :
ADEPPI, AIDE ET RECLASSEMENT, APO ACCUEIL PROTESTANT, APRES, ARBOR&SENS, ARPEGE-PRELUDE, ASJ D’ARLON, ASJ LIEGE 1, ASJ LIEGE 2, ASJ-LUX, ASJ NAMUR, ASJ TOURNAI, ASJ VERVIERS, AVANTI, AVFPB, CAL-LUXEMBOURG, CAP FLY, C.A.P – I.T.I, CENTRE L’OREE, COMPAGNIE DES VISITEURS DE PRISON DE LIEGE, COMPAGNIE GAMBALO, CROIX-ROUGE DE BELGIQUE, DISPOSITIF RELAIS, EQUIPE MOBILE TRAJET DE SOINS INTERNES – COUR D’APPEL DE BRUXELLES BRABANT WALLON – ANTENNE BRABANT WALLON, FAFEP, F.A.M.D, FEDERATION DES SERVICES D’AIDE SOCIALE AUX JUSTICIABLES, FEDITO BXL, FIDEX, GENEPI BELGIQUE, G.S.A.R.A., I.CARE, L’AMBULATOIRE – FOREST, LA TOULINE, LES CHEMINS DE TRAVER SE, MEDIANTE, MODUS VIVENDI, ORS ESPACE LIBRE, PLATE-FORME SORTANTS DE PRISON, RELAIS ENFANTS-PARENTS, RESILIENCE, RIZOME-BXL, S.E.S., SESAME, SMAJ, SLAJ-V BXL, TRANSIT, TREMPOLINE, TSI « SAINT-MARTIN », VENT SAUVAGE.
[1] Estimation réalisée à partir d’un calcul de cette étude française INSEE. L’histoire familiale des hommes détenus. Synthèses, 59, 2002.
[2] Ces services sont actifs dans les domaines suivants : aide psychosociale, enseignement/formation, culture et sport, santé, sortie de prison.
[3] Loi portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19
[4] Loi de principes concernant l’administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus.
[5] Certains responsables de services d’aide sociale aux justiciables ont déjà publiquement réagi à cette proposition de loi : https://www.lalibre.be/debats/opinions/les-detenus-et-le-travail-social-en-prison-sont-mis-a-mal-dans-l-indifference-generale-5fce6677d8ad5874797784d1.
[6] Concertation prenant en compte les personnes détenues, les familles, les acteurs et services de terrain, les professionnels du milieu pénitentiaire, les associations et fédérations
[7] La Loi de principes du 12 janvier 2005 institue le Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire (CCSP) en tant qu’organe indépendant et impartial de contrôle et d’avis veillant à garantir les droits et la dignité humaine des personnes détenues. Il bénéficie à ce titre d’une dotation annuelle de la Chambre des représentants.